Dans la mouvance des « légumes oubliés », il existe un engouement un peu snob pour les anciennes races d'élevage, celles qui peuplaient autrefois régions et terroirs de caractères, avant de se faire remplacer par des races dites modernes.
Si une race est menacée, c’est parce que plus aucun éleveur ne s’y intéresse car elle est nulle… (c’est ce que j’entends souvent) Et c’est presque vrai, à une nuance près (attention, la nuance est en gras) : si une race est menacée, c’est parce que plus aucun éleveur ne s’y intéresse car l’agriculture moderne les a convaincu qu’elle est nulle…
Et comment convainc-t-on un éleveur qu’une race est nulle ? En refusant de lui acheter ses bêtes au motif que les carcasses ne sont pas calibrées pour l’abattoir ou les barquettes du supermarché, ou que l’animal a une croissance trop lente, ou que son métabolisme valorise mal le soja, ou que la viande n’a pas la bonne couleur sur un étal, ou que cette race ne s’adapte pas à l’élevage hors-sol, etc… Un éleveur qui ne vend plus ses animaux court à la faillite, donc il s’adapte et élève les animaux que son client exige. C’est-à-dire le plus souvent des animaux qui grossissent vite et que l’on peut nourrir à moindre coût avec une alimentation médiocre (soja, maïs, résidus,…). Ces animaux-là ont une race définie ? Pas vraiment, ce sont des croisements de races industrielles formatés pour rentrer dans les critères de ce mode d’élevage supersonique au goût interchangeable.
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Les délicates races locales de Coucou de Rennes, Vache Flamande, Poule Crèvecœur, Mouton de l’Avranchin ou Landes de Bretagne, … qui ont mis des siècles à s’adapter à un terroir et acquérir résistance, rusticité et saveur, apparaissent alors totalement ringardes de point de vue de la rentabilité, et sont balayés de l’élevage professionnel comme des parasites !
Du coup, élevés dans des Conservatoires, ces fantastiques races rustiques se transforment en animaux d’ornement surnourris. La race se maintient, mais n’est plus capables de survivre en conditions naturelles. Ayant perdu ses réflexes de survie, elle ne s’adapte pas aux élevages professionnels (stérilité, maladie, faiblesse,...). L’agriculteur, échaudé par la publicité mensongère sur sa rusticité, finit par s'en désintéresser.
C’est là qu’entre en compte la PASSION, qui permet à un éleveur de s’acharner jusqu’à sélectionner des animaux résistants... au bout de 2 ou 3 générations.
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Du côté institutionnel, on tombe souvent dans l’écueil de vouloir tellement améliorer la race qu’on la transforme en « race moderne universelle » en gommant tous les attributs qui faisaient sa spécificité (spécificités qui freinent sa rentabilité).
On commence par sélectionner les animaux qui valorisent le mieux l’alimentation artificielle (donc on transforme des races « moyennes » en « grandes »), puis ceux à laine blanche et courte, ou sans laine (c’est coûteux à tondre), on rêve d’enlever les cornes et d’introduire le gène culard pour augmenter les gigots. Et au final, on se retrouve avec des moutons copiés-collés ! Avec cette approche, prétendre sauvegarder une race ancienne tout en s’évertuant à la faire rentrer dans le moule de l’élevage moderne, est-ce vraiment la sauver ?
(autant élever directement une grosse race bouchère améliorée en laboratoire, dans ce cas, non ?)
(soit ils meurent, soit ils ne ressemblent plus à leur race d'origine !)
Chaque protagonniste défend alors SA vision de la race et on assiste à des scissions de points de vue, des nouvelles analyses de documents historiques, des débats infinis sur le « standard », ou Floch Book, qu’il faut re-re-re-définir, en votant, et décider si les votes se font par ancienneté d’éleveurs, ou par le nombre de bête détenues (un retraité qui élève 10 animaux a-t-il le même poids de décision que le professionnel qui en élève 200 ?), à bulletin secret ou main levée, etc…
Que des conflits d’intérêt humains ! Et pendant ce temps, les éleveurs regardent leurs animaux dépérir sans comprendre pourquoi ils n’arrivent plus à valoriser l’herbe.
Technique suggérée par mon ami Emmanuel, éleveur bio, qui se demande comment réapprendre à ses brebis à brouter de l'herbe, car elles en ont perdu l'instinct...
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Relancer une race menacée, c’est long, coûteux et décourageant, mais c’est aussi un défi enthousiasmant, historique et fédérateur !
Les races locales relèvent du patrimoine immatériel de nos terroirs, de notre identité paysanne donc nos origines à tous. Des siècles de travail de la part de nos prédécesseurs anéantis par 50 ans de vision prétendument « moderne » de l’agriculture ?
C’est un gâchis honteux (l'équivalent de repasser la Joconde à la bombe fluo pour la moderniser), d’autant que ce schéma productiviste est de plus en plus remis en cause au profit d’un mode d’élevage pluriel qui associerait : qualité de viande, gestion des paysages, maillage social, mode de vie décent pour les éleveurs et quête de sens pour l’agriculture française.
(et le monde agricole est demandeur de ces changements !)
commentaires
Ketch 26/05/2015 10:30
jacotte 09/05/2015 22:33
Marie 27/04/2015 11:19
xavier 26/04/2015 18:59
sopheap 25/04/2015 22:57